Sommaire :

Causerie. Lyon, le 6 septembre 1894.

On se souvient du mot de ce président d'assises à un condamné à mort qui accueillait le verdict avec une attitude inconvenante : Accusé ! n'augmentez pas la gravité de votre situation !

À première vue, il semble assez difficile de rendre plus grave la situation d'un homme voué inéluctablement à la guillotine. Telle est cependant l’inattendue mésaventure qui vient de survenir à l'abbé Bruneau, lequel a été gratifié d’un supplément de peine particulièrement odieux.

Pendant les trois jours d'horrible attente où se discutait le recours en grâce, Bruneau a été l'objet d'un supplice infiniment plus cruel que le châtiment suprême prononcé contre lui au nom de la loi. Bourreau et guillotine étaient là, prêts à fonctionner. Le misérable en était averti par les hurlements de la foule, réclamant sa tête à grands cris qui pénétrait jusque dans sa cellule. Certes a vivre ces heures effroyables, il a dû souffrir mille morts. Or, la justice humaine n'avait le droit de lui en infliger qu'une...

L'opinion a donc bien fait de protester contre ce scandale. Maïs il ne faudrait pourtant pas pousser le sentimentalisme jusqu'à regretter l'exécution de Bruneau. Mieux vaut réserver notre pitié pour celui qu'il assassina. Tout en déplorant le surcroit de torture subi par le trop fameux vicaire, nous ne saurions oublier comment il tua le curé Fricot. Ce dernier a, lui aussi, souffert « mille morts » — et du fait de Bruneau. Souvenez-vous des détails du forfait, de cette lutte épouvantable entre les deux prêtres, de ce vieillard précipité vivant encore au fond d'un puits, et restant là de longues heures à lutter contre la mort et à gémir, tandis que son implacable tortionnaire l'assommait à coups de pierres jetées d'en haut pour l'achever. Souvenez-vous aussi des ignobles débauches qui étaient le mobile de ce crime dont le récit fait frissonner — et dites lequel des deux a le plus souffert, de l'innocente victime, ou de l'assassin, et si ce dernier mérite qu'on le plaigne !

Ce n'est pas non plus à propos de l'exécution d'un Bruneau qu'il convienne de récriminer contre la peine de mort. Au surplus, si horrible qu'il soit, le suprême supplice est un exemple nécessaire. Qu'on adopte le projet Reinach qui empêchera le retour de répugnants spectacles comme celui de Laval, où l'on vit une foule ivre de joie immonde devant la mort et le sang, — nous-y applaudissons sans réserve. Quant à la peine elle-même, et à la nécessité de son maintien, la question demeure toujours résumée par la mort célèbre d'Alphonse Karr : Que messieurs les assassins commencent !

Monsieur Chasse. Et, à son retour, que de « craques » énormes racontées avec cette conviction particulière qui donne tant de saveur aux récits de chasse ! Mais les chasseurs d'aujourd'hui ne se contentent plus de narrer leurs exploits imaginaires ou leurs aventures incroyables à leurs amis et au cercle, à l'exemple du bon Tartarin. Ils les envoient aux journaux.

Un organe spécial, le Chasseur illustré, publie dans son dernier numéro des échos sur la journée d'ouverture où nous lisons ceci :

Quelques chasses bizarres.

M. D.-B. dans l'Allier, a tiré un lièvre à trois oreilles.

Près de Tulle, un de nos abonnés, M. V..., tire un lièvre dans un petit sarrazin, et ramasse un perdreau et une caille. Le lièvre court encore.

Dans la Marne, M. Louis de P . . . ajuste un héron qui s'envole d'un marais proche de Jalons: Grand lâche fait une voix.

Le fusil lui en tombe des bras. Il se retourne vers un gros têtard de saule d'où vient la voix, aperçoit un superbe perroquet, qui brillait là comme une émeraude dans du vieux foin, et laissant filer le héron, foudroie le malhonnête oiseau... pour lui apprendre à vivre.

Le Chasseur illustré n'a pas tort de de nous annoncer ces choses-là comme bizarres. L'épithète est à peine assez forte. Sans vouloir le moins du monde incriminer la sincérité de M. Louis de P... — un chasseur est toujours de bonne foi, quelle que soit l'invraisemblance de de ses propos — nous serions bien étonné si son perroquet n'était pas un canard.

Canard aussi, n'en doutez pas, l'anecdote ci-dessous entendue le soir de l'ouverture dans un train de la ligne des Dombes : Je me promenais dans un champ, quand je tombe à pieds joints dans une compagnie de perdreaux... Ils étaient sept. En une minute, tous les sept tombent morts, et moi-même je me relève légèrement blessé... Vous aviez tiré en éventail ? Non... mon fusil avait éclaté !

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour